Le marketing traditionnel repose sur quatre piliers fondamentaux appelés “les 4P du marketing-mix”. Pour les acteurs du marketing responsable, ces 4P sont à réinventer pour être mis au service de la création d’offres durables. Refondre en profondeur l’ensemble de la chaîne de valeur du marketing apparaît comme un axe de travail indispensable pour sortir le marketing de ses dérives et en faire un levier de la transition écologique.
« J’ai jeté un sort aux 4P ! ». Florence Touzé-Rieu, Professeure associée de la Faculté Audencia depuis plus de 20 ans, explore depuis plusieurs années la réarticulation du marketing-mix, c’est-à-dire les 4P : Product, Price, Place (Distribution) et Promotion. Pour elle, l’enjeu est de repenser l’approche du marketing traditionnel pour créer des offres réellement durables. Quitte à sortir de l’approche 4P.
Cette enseignante chercheuse spécialisée sur les questions de communication et marketing responsables a fait son tournant vers ces sujets au début des années 2000 après avoir fait la première partie de sa carrière en agence de communication. « Il y avait clairement une opposition grandissante entre mes convictions qui pivotaient au début des années 2000 et ce que j’avais fait en agence précédemment puis ce que j’enseignais à ce moment-là ». Florence Touzé-Rieu songe alors sérieusement à arrêter l’enseignement, mais Audencia lui laisse la liberté de repenser ses contenus. Cette « grande chance » que lui offre l’école lui permet d’interroger et remettre en question les disciplines.
« A travers mes enseignements, j’aime faire prendre conscience que nos métiers autour de la communication et du marketing ont de belles compétences : savoir écouter, accompagner, aider à adapter un modèle sont autant d’atouts puissants s’ils sont mis au service d’offres soutenables » détaille Florence Touzé-Rieu.
C’est en 2015 que Florence Touzé-Rieu affirme définitivement ses avancées sur le sujet d’un marketing plus responsable. « A travers mon premier livre, j’ai décidé de secouer les 4P ! » se plait-elle à dire, « l’approche 4P traditionnelle peut mener à beaucoup d’absurdités, des offres contre productives. A titre d’exemple, on en est même venu à créer des yaourts pour hommes ! ».
Pour elle, le vers est dans la pomme, les 4P induisent un mécanisme de surconsommation délétère pour notre planète. De la création d’offres contre productives à la promotion conférant au greenwashing, en passant par des prix toujours moins chers « jusqu’à détruire la moindre marge », les 4P sont à repenser, voire même, pour Florence Touzé-Rieu, il faut en sortir.
« Il convient de raisonner autrement qu’à travers les 4P. A travers mon livre, je propose de s’appuyer sur la démarche OSER : Offrir, Soutenir, Engager, Relier. C’est ce que l’on nomme le marketing implicatif », explique-t-elle. « L’ambition du marketing implicatif est de réconcilier les entreprises avec leur public ». Retravailler la confiance, accompagner au changement et dans les nouveaux usages sont les principaux enjeux que relève cette Professeure d’Audencia à travers la démarche qu’elle propose.
Pour Florence Touzé-Rieu, les entreprises sont aussi dans un moment où elles réapprennent à travailler : « La logique veut que nous soyons amenés à produire moins pour consommer moins de ressources. Les entreprises doivent réapprendre à faire durer leurs produits, mieux respecter les ressources nécessaires à leur fabrication, et mieux gérer les déchets ».
Caroline Darmon, Directrice RSE Publicis France et Vice-Présidente de la commission RSE de l’AACC, l’association qui réunit environ 200 agences conseils en communication pose la question en ce sens, « L’entreprise doit s’interroger quand elle conçoit un nouveau produit : est-ce qu’elle crée un nouveau produit ou un nouveau déchet ? ».
Pour celle qui est également membre du comité de programme du CMR 2024, la prise en compte des limites planétaires et contraintes sociales sont des préalables essentiels pour une entreprise qui crée une nouvelle offre. « Au-delà de ces deux points incontournables, l’entreprise doit aussi vérifier si ce nouveau produit ou service correspond à un véritable besoin » ajoute Caroline Darmon, « c’est cela qu’on appelle l’éco-socio-conception d’une nouvelle offre. »
Pour prendre tout leur sens, un marketing et une communication plus responsables ne doivent pas se concentrer uniquement sur les enjeux environnementaux, « L’enjeu est bien de focaliser notre attention aussi sur les sujets sociaux car tout est lié » poursuit Caroline Darmon. A ses yeux, les communicants doivent représenter la société telle qu’elle est et éviter les stéréotypes. L’enjeu est donc encore d’intégrer plus de diversité dans la communication des entreprises pour être plus représentative et de prendre en compte cette diversité dans la conception des offres.
Avec cette position centrale par rapport à la réalisation d’une offre, « le marketing peut être le chef d’orchestre de la transformation responsable des entreprises » selon Catherine Réju, Déléguée générale de l’Adetem, un réseau associatif qui représente tous les métiers du marketing à travers plus de 1 200 professionnels.
L’Adetem, qui fêtera ses 70 ans en 2024, se penche sur la question du marketing responsable depuis 20 ans. Ces dernières années, l’association a particulièrement accéléré sur ce sujet, à travers la création d’un collectif nommé RESPONSABLES ! by Adetem. « La trentaine de membres que compte le collectif sont particulièrement engagés sur la question de la transition écologique et cherchent à produire des outils pour mettre en mouvement les entreprises » détaille Catherine Réju.
Le dernier né s’appelle la Fresque du Marketing, une déclinaison métier de la Fresque du Climat. Portée par la mission de l'Adetem - “l’association qui donne aux marketers les moyens de réussir dans leur métier”, « La Fresque du Marketing a été conçue pour aider les marketeurs à engager les entreprises dans la transition écologique » explique Catherine Réju, « nous souhaitions proposer un outil qui montre qu’un modèle de création de valeurs en phase avec les enjeux de développement durable peut exister. »
L’initiative de la Fresque du Marketing a été lancée par l’Adetem en 2023 et a obtenu le soutien officiel de l’ADEME. Pour Catherine Réju, l’enjeu était d’avoir un outil de référence. Pour cela, l’Adetem s’est entourée de beta testeurs « pas forcément acquis à la cause », comme les associations Halte à l’Obsolescence Programmée et Pour un Réveil écologique. « Nous savons que l’expression “marketing responsable” peut parfois être perçue comme un oxymore. C’est pour cela que nous avons choisi des beta testeurs exigeants qui nous ont permis de valider nos hypothèses et faire évoluer la fresque. » ajoute celle qui est aussi membre du Comité de Programme du CMR 2024.
La Fresque du Marketing invite à réinventer les 4P. Fondée sur le cycle de vie d’un produit ou d’un service en BtoB ou en BtoC, la Fresque se déroule en deux temps. Le premier temps se passe autour d’un jeu de cartes. Le jeu propose de reconstituer la chaîne de valeur du marketing, invite à en comprendre les impacts et met en relief ses dérives. Après ce constat, la Fresque expose ensuite un ensemble de déclencheurs et pistes d’actions pour transformer la chaîne traditionnelle du marketing et en proposer une vision plus responsable.
Le deuxième temps permet aux participantes et participants de mettre en pratique ce qu’ils ont déroulé à travers le jeu. Ils sont ainsi invités à co-créer ensemble une offre de produit ou service à travers la vision du marketing responsable impulsée par la Fresque du Marketing. « La force de cet atelier est de permettre aux participants de se projeter de manière opérationnelle et positive » conclut Catherine Réju.
Cette sensibilisation apportée par la Fresque du Marketing est la 1ère étape d'un parcours rappelle la Déléguée générale de l’Adetem. Elle est un point de départ essentiel pour favoriser la prise de conscience mais ne peut pas être considérée comme un aboutissement du travail de refondation que doivent opérer les entreprises. La deuxième clé de transformation est, pour Catherine Réju, la formation ou l’accompagnement pour permettre une réelle appropriation des solutions déployables au sein de l’entreprise.
Ensuite, il convient de travailler avec l’équipe dirigeante : « avoir le support d'un Comex convaincu est un atout essentiel pour les acteurs du marketing qui veulent engager leur entreprise dans la transition », ajoute Catherine Réju.
Enfin, derniers déclencheurs identifiés : la concurrence et la réglementation. « Ces deux leviers sont déterminants pour mettre en mouvement les entreprises » insiste-t-elle. Pour faire changer les entreprises, il n’y a pas qu’une seule voie possible.
Que ce soit la conviction, la concurrence, la réglementation ou la peur pour l’image de l’entreprise, il n’y a pas de mauvais déclencheur pour faire entrer l’entreprise dans la transition écologique. En revanche, une fois la conviction acquise de devoir agir, c’est bien la manière de panser et repenser les 4P du marketing-mix qui permettra aux entreprises de se réinventer en profondeur et avec sincérité pour devenir vraiment durables.
Caroline Darmon, Directrice RSE Publicis France et Vice-Présidente de la commission RSE de l’AACC, et Catherine Réju, Déléguée générale de l’Adetem sont membres du comité de programme du Congrès de la Communication et du Marketing Responsables 2024, présidé par Valérie Martin, Cheffe du service mobilisation citoyenne et médias, ADEME.
Florence Touzé-Rieu, Professeure associée de la Faculté Audencia, a participé en tant que conférencière au Congrès de la Communication Responsable 2023.
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour le Congrès de la Communication et du Marketing Responsables
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