Le risque de greenwashing est omniprésent, mais cette pratique commerciale trompeuse est plus que jamais sous surveillance que ce soit via les pouvoirs publics ou l’action d’associations militantes. Les entreprises prennent conscience des risques encourus et sont d’autant plus incitées à se transformer en profondeur.
« Le greenwashing est une pratique commerciale qui s’étend bien au-delà du champ de la publicité ». Valérie Martin, Cheffe du service Mobilisation Citoyenne et Médias de l’ADEME décrit un risque global : « pour éviter le greenwashing, c’est toute l’entreprise qui doit être mobilisée pour opérer une transformation en profondeur et repenser leur modèle économique en proposant de nouvelles offres responsables. »
Le délit de greenwashing portant sur les fausses allégations environnementales s’inscrit dans dans un champ plus large concernant les pratiques commerciales déloyales. Le délit de greenwashing cible bien une communication d’entreprise qui vise à valoriser la réduction d’impact environnemental d’un produit au-delà de ce qu’il en est réellement. « Dans un cas de greenwashing, l’entreprise utilise des arguments abusifs pour se forger une image éco-responsable » précise Valérie Martin.
L’enjeu de greenwashing, dans une acception élargie, se répercute, selon elle, sur l’ensemble des activités de l’organisation. « A terme, les entreprises vont devoir trouver les moyens de sortir de la logique d’un modèle linéaire fondé sur la vente en volume pour aller vers une économie plus sobre et, de fait, plus circulaire. Une communication responsable sera alors beaucoup plus facile à mener » ajoute Valérie Martin.
Pour elle, chargée de piloter la Stratégie grand public et jeunes de l’ADEME, les entreprises qui ne se prémunissent pas du risque de greenwashing restent dans une logique court-termiste. « Les entreprises qui usent de greenwashing sèment le doute auprès de toutes les parties prenantes » précise-t-elle, « en cela, ces acteurs entraînent une perte de confiance des consommateurs et plus largement des citoyens envers les entreprises. Ils desservent leur propre activité. »
Pour Valérie Martin, le doute vient également s’immiscer dans la tête des consommateurs sur les entreprises qui font de réels efforts. Si des entreprises sont identifiées comme pratiquant de fausses allégations environnementales, comment être assuré que leurs concurrentes ne le font pas aussi ?
Mais pour Valérie Martin, le doute majeur que créée le greenwashing porte sur les véritables efforts à mener pour réussir la transition écologique : « si en tant que citoyen, vous n’avez pas la capacité à distinguer ce qui relève du greenwashing ou non, ces pratiques commerciales trompeuses masquent la réalité des efforts à entreprendre et empêche d’identifier les produits et les services réellement moins impactants ». Or, créer des offres responsables demande à l’entreprise de repenser son activité en profondeur, interroger le fondement de l’organisation et procéder à des renoncements.
Face aux conséquences potentielles du greenwashing, les pouvoirs publics ont largement encadré les pratiques commerciales trompeuses. Clémentine Baldon, avocate au barreau de Paris depuis 20 ans, le rappelle : « Depuis 2005, une directive européenne encadre les pratiques commerciales européennes déloyales. Cela inclut les allégations trompeuses et donc le greenwashing. Cette directive a été transposée dans tous les Etats membres de l’Union européenne. »
Cette avocate, spécialiste du droit européen et dont l’activité est orientée autour des affaires en faveur de la transition écologique depuis six ans, ajoute : « une révision de la directive sur les pratiques commerciales déloyales est en passe d’être validée au niveau européen. Elle visera dorénavant explicitement les allégations environnementales et créera une présomption d’illégalité des allégations environnementales dites « génériques » (comme « respectueux de l’environnement », “vert” “écologique”, etc.). »
Cette révision de la directive a fait l’objet d’un accord de principe au niveau de l’Union européenne (UE), le 19 septembre 2023. L’Europe travaille également sur un autre texte de loi qui aurait pour objectif de mettre en place un système d’audit et de certification préalable par des tiers externes en cas de recours à des allégations environnementales explicites. « Le projet de directive peut encore évoluer avec le passage devant les autres instances de l’UE mais s’il est accepté, c’est un changement de paradigme ! » d’après Clémentine Baldon.
Cette avocate est l’une des pionnières à avoir lancé des actions pour des associations contre le greenwashing de certaines entreprises. Elle a aussi été l’une des avocates de « L’Affaire du Siècle », l’action en justice qui a conduit à la condamnation de l’Etat français pour inaction climatique en 2021.
Elle représente les associations Greenpeace, Les amis de la Terre et Notre affaire à Tous contre TotalEnergies. « Ces associations tentent de faire condamner TotalEnergies pour l’utilisation d’allégations environnementales qu’elles jugent trompeuses portant notamment sur son ambition affichée de neutralité carbone à horizon 2050 ».
Clémentine Baldon plaide aussi aux côtés de la CLCV, une association nationale de défense des consommateurs et usagers, dans des actions judiciaires visant notamment des allégations “neutre en carbone”, “100% recyclé et 100% recyclable” » détaille l’avocate.
Au-delà des affaires qu’elle défend, Clémentine Baldon relève d’autres actions juridiques en cours indiquant une dynamique globale à l’échelon européen autour de ces enjeux. A titre d’exemple, l’avocate évoque l’affaire portée par 22 associations de l’UE, dont la CLCV, à travers le BEUC [Bureau européen des unions de consommateurs], contre 18 compagnies d’aviation européennes. Elles accusent ces compagnies de « greenwashing » et « pratiques commerciales trompeuses », et en particulier « de sous-entendre que le transport aérien peut être "durable", "écoresponsable" et "vert" ». Ces associations sont également engagées dans un combat contre les fabricants de bouteilles en plastique.
Ces affaires sont autant de signaux désormais difficiles à ignorer pour les entreprises. « D’ailleurs même si les associations ne déposent pas forcément plaintes, elles n’hésitent plus à être offensives face aux entreprises qu’elles accusent de greenwashing. Le name and shame est devenu une pratique courante. » renchérit Clémentine Baldon, « Le risque de réputation est fort pour les entreprises. »
« Pour l’heure, en dehors de Monsanto en 2007, aucune entreprise n’a encore été formellement condamnée en justice en France pour pour des faits de communication trompeuse en matière environnementale mais il y a de plus en plus d’affaires en cours » complète-t-elle, « en théorie, des peines pénales peuvent être prononcées ». Si aucune entreprise française n’a encore été condamnée, ce n’est, pour l’avocate, qu’une affaire de temps.
Par ailleurs, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est également active sur le sujet et contrôle sur le terrain les allégations environnementales des entreprises. En cas de constatation d’allégations trompeuses, elle peut adresser des avertissements et des injonctions aux entreprises fautives, imposer des amendes transactionnelles ou transmettre le dossier au parquet.
Pour Valérie Martin de l’ADEME, les entreprises doivent également être attentives à d’autres lois françaises pour éviter le greenwashing : « la loi AGEC [anti-gaspillage pour une économie circulaire] et la loi Climat & Résilience constituent des garde-fous pour lutter contre le greenwashing et ancrent ce délit plus fortement dans la législation. Ils posent la question de la réduction de la pression publicitaire à l’heure où chaque citoyen est confronté à plus de 1200 messages publicitaires commerciaux chaque jour ! »
La cheffe de service mobilisation citoyenne et médias de l’ADEME note que beaucoup d’entreprises n’ignorent plus ces signaux et ont globalement compris l’enjeu, même si le greenwashing continue malheureusement à toujours trop bien se porter. « Mais même quand l’entreprise croit bien faire, il faut faire attention. Ne pas faire de greenwashing demande une vigilance de tous les instants » rappelle-t-elle.
Pour répondre à ces enjeux, les communicants doivent intégrer que leur rôle est essentiel au sein de l’organisation et que la communication responsable ne se résume pas à mettre en avant la responsabilité des entreprises. « La communication responsable se définit plutôt comme une communication qui est responsable face au contexte écologique » explique Valérie Martin.
En cela, la communication responsable doit venir questionner le fonctionnement de l’organisation. « Le rôle du communicant est d’aller interroger l’entreprise. Si nous arrivons à créer le débat au sein de l’entreprise, c’est que nous arrivons à questionner réellement son modèle de fonctionnement » rappelle Valérie Martin, à l’instar de ce que nous avait confié Mathieu Jahnich dans un précédent article.
La communication responsable se pose ainsi en levier permettant à l’entreprise de se repenser. Valérie Martin en fait le constat avec la campagne « Épargnons nos ressources » menée fin novembre 2023 par l’ADEME. Cette série de courtes vidéos invite les citoyennes et citoyens à « se poser les bonnes questions » lorsqu’il s’agit d’acheter un nouveau produit.
Un « dévendeur », conseiller « atypique », comme l’appelle Valérie Martin, intervient tout au long des vidéos pour proposer des conseils de consommation plus responsables : « notre “dévendeur” invite simplement les citoyennes et les citoyens à repenser leur rapport à la consommation : louer ou réparer plutôt que d’acheter par exemple. ». Avec cette campagne qui interpelle tout un chacun, l’ADEME réussit à créer le débat.
La campagne « Épargnons nos ressources » s’inscrit comme une invitation à changer nos imaginaires, créer de nouveaux récits ; pour les entreprises, une invitation à embrasser les réels besoins des citoyens plutôt que de créer des désirs éphémères. L’ADEME prouve ainsi que la communication peut avoir un rôle central et moteur dans la transition écologique des entreprises. Une force motrice pour créer d’autant plus d’offres durables et favoriser une communication responsable, et donc à fortiori sans greenwashing.
Valérie Martin (ADEME) est Présidente du Comité de programme du Congrès de la Communication et du Marketing Responsables (CMR) 2024.
Clémentine Baldon (Baldon Avocats) est intervenue au CMR en 2023 sur la conférence ayant pour thème : « La communication face au risque de greenwashing ».
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour le Congrès de la Communication et du Marketing Responsables